La mort de Louis XIV
Digne d’une tragédie de Racine, la mort de Louis XIV commence le 10 août 1715. À son retour de chasse de Marly, le roi ressent une vive douleur à la jambe. Son médecin diagnostique une sciatique. Il ne variera pas de position. Mais des taches noires apparaissent bientôt : il s’agit d’une gangrène. Ce mois d’août 1715 voit le Soleil décliner inexorablement, Louis XIV se meurt. Après une semaine de lente agonie, il s’éteint à Versailles, le 1er septembre 1715 à 8h15 du matin, peu avant son 77e anniversaire. Un règne s’achève, le plus long de l’histoire de France.
PAR KILIAN KINLEY. ICONO : TRÉSOR DU PATRIMOINE
Au décès de Louis XIII, le 14 mai 1643, le tout nouveau roi Louis XIV n’a pas tout à fait cinq ans. Sa mère Anne d’Autriche exerce la régence jusqu’à sa majorité en 1651. Elle est accompagnée dans son office par le cardinal Mazarin, « l’Italien ». Force est de constater que les guerres ont laissé le pays sans le sou. Mazarin doit renflouer le trésor royal. Il décide en 1648 la suspension du paiement des rentes.
De la Régence au Roi Soleil
Le Parlement, qui souhaite exercer la régence à la place de ce duo d’étrangers, fait front sous l’égide de Condé et refuse l’impôt. C’est la Fronde des princes (1650-1653) et la première crise de ce long règne. Après un exil de trois ans hors les murs de Paris et Condé défait, le roi regagne la capitale en 1652. La féodalité laisse place à l’État centralisateur.
La mort de Mazarin en 1661 et la condamna- tion du richissime surintendant aux Finances Nicolas Fouquet, accompagnée de la confis- cation de ses biens, marquent un tournant. La place de ministre principal n’est plus. Désormais Louis XIV gouverne en «monarque absolu », sous le regard omniprésent de Jean- Baptiste Colbert tout à la fois intendant des Finances, surintendant des Postes, des Eaux et Forêts, des Bâtiments, Arts, Tapisseries et Manufactures de France, secrétaire d’État de la Maison du Roi, de la Marine, Grand Maître des mines et minières de France !
Le roi n’a de cesse durant son règne de réformer le royaume, toujours dans un souci de centrali- sation afin de favoriser le développement du commerce et de l’industrie. Guidé par sa pas- sion des bâtiments et son souci démesuré de glorification il va centraliser, favoriser, contrô- ler et protéger le développement des arts, des lettres et des sciences. Il souhaite rayonner !
La culture, un outil onéreux de propagande
Les artistes sont choyés, logés voire pension- nés. Le géographe italien Cassini, qui organise l’Observatoire de Paris, reçoit annuellement 9 000 livres, en plus du gîte, quand un ouvrier gagne en moyenne 19 livres par mois. Corneille reçoit lui 2 000 livres, Molière 1 000 livres. Le Louvre abrite les académies, les collections du roi y sont stockées et même exposées dans les salons ouverts au public. Louis XIV regroupe le cabinet de curiosités de son oncle Gaston d’Orléans, dont il hérite à la mort de ce dernier, avec la collection royale des médailles et antiques qu’il transfert du Louvre à la Bibliothèque du Roi, rue Vivienne, puis à Versailles. En collectionneur averti, il enri chit grandement ce qui deviendra le Cabinet des Monnaies, Médailles et Antiques. Versailles est à sa démesure, le plus somptueux palais du monde, et la Cour s’y déplace en 1682. Louis XIV centralise la direction de la Culture, afin de l’encourager, mais aussi de la diriger et de l’orienter. De multiples institutions culturelles voient le jour. La surin- tendance des Bâtiments, Arts, Tapisseries et Manufactures de France, créée en 1664, est confiée à l’indispensable Colbert. Elle est en charge des résidences royales, des commandes publiques, et organise les fêtes royales. L’Académie royale de peinture et de sculpture impose le « Grand Style ». L’Acadé- mie de France à Rome (ancienne Villa Médi- cis) forme, en Italie, les meilleurs artistes dès 1666. L’Académie française est dépoussiérée au bénéfice de l’image du nouveau roi. La musique reçoit son académie en 1661, les sciences en 1666, l’architecture en 1671. Louis XIV ne néglige aucune facette de la culture et contrôle un art tout entier tourné vers son image de Roi rayonnant sur l’Europe. En 1663, Colbert assigne une mission à quatre érudits de l’Académie française. Ils doivent se consacrer à pérenniser et commémorer la gloire du souverain en multipliant épigraphes et scènes allégoriques dans les grandes construc- tions ornées de peintures et de sculptures, mais également en gravant de multiples médailles aux devises élogieuses. « La Petite Académie » ou l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres et la numismatique vont jouer à plein leur rôle d’outils à la gloire du souverain. Une entre- prise de grande ampleur est mise en place : représenter à travers les médailles chaque évé- nement majeur et élogieux de l’action du roi. Jean Mauger en est le principal artisan. Appelé à Paris vers 1677, il est celui qui œuvre le plus à la série des médailles de Louis XIV. Ses talents sont loués et ses têtes sont jugées belles. De plus, il est très productif : en sept ans, il grave pas moins de 260 médailles. Ses rému- nérations sont conséquentes, en 1687 il reçoit 900 livres pour un poinçon et un carré repré- sentant la Jonction des deux mers. En 1698, il devient médailliste du roi et est hébergé au Louvre. Ces travaux qui occupent entièrement la Petite Académie aboutissent en 1702 à un monument de la propagande royale : la publi- cation d’un somptueux in-folio, les Médailles sur les principaux événements du règne de Louis le Grand. Cette politique culturelle intense et démesurée pèse lourd dans les finances du Royaume.
La numismatique au profit de l’image
La gravure des monnaies suit tout naturelle- ment cette logique. Elle est dominée par deux familles, les Warin et les Röettiers, dont les personnages principaux sont Jean Warin et Joseph Röettiers. Jean Warin, soutenu par Louis XIII et Richelieu, gravit les échelons jusqu’à devenir contrôleur général des poinçons et effigies des Monnaies de France en 1647. Il domine la production et la création artistique des monnaies et médailles du royaume et possède une autorité qui lui permet de réali- ser des progrès trop longtemps retardés, comme la frappe en virole permettant de limiter la contrefaçon. Il œuvre à l’unification des monnaies du royaume avec l’usage de ses poinçons, identiques dans tous les ateliers de France.
Si François Ier, puis Louis XIII furent les premiers à vieillir sur leurs monnaies, cette unification couplée à une évolution générale du physique du roi sur son monnayage est une première. Les Français voient Louis XIV grandir. Jean Warin le représente d’abord alors qu’il n’est qu’un très jeune enfant, légèrement vieilli pour paraître pleinement souverain aux yeux du peuple qui n’a que les monnaies pour se figurer l’image de leur souverain. Lauré drapé et cuirassé à l’antique, portant l’ordre du Saint-Esprit, il se positionne dans la continuité du dernier type monétaire de Louis XIII « l’écu de 60 sols, deuxième poinçon de Warin ». Les lauriers et le drapé à l’antique ne quittent pas le buste du roi lorsqu’en 1662, alors jeune homme âgé de vingt-quatre ans, Jean Warin « apollonise » ses traits au profit d’un roi assumant seul les commandes de son royaume. Le Roi Soleil est né aux yeux de ses sujets !
Les Français face à la dette
Cette propagande voulue par le roi est indis- sociable des trente-trois ans de guerres menées sur cinquante-quatre années de règne person- nel. En effet, le royaume de France guerroie dans toute l’Europe et Louis XIV aime cela. Son principal devoir de roi de France est de sécuriser son territoire contre les invasions étrangères et de défendre son royaume. Il reprend cependant à son compte la politique traditionnelle de la France qui est de briser son encerclement par les Habsbourg, mais aussi la modifie en organisant l’équilibre européen à son profit. Cinq conflits marquent son règne : la guerre de Dévolution (1667-1668), la guerre de Hollande (1672-1678), la guerre des Réunions (1683-1684), la Ligue d’Augsbourg (1688-1697) et la guerre de succession d’Espagne (1701-1712).
Ces guerres incessantes qu’il faut financer coûte que coûte, couplées à une politique culturelle intensive, ruinent le royaume. La dette s’accumule inexorablement, elle s’élèvera à 2,8 milliards de livres en 1715, alors qu’elle n’était que d’1 million deux cents ans plus tôt. Pour y faire face, le gouvernement a recours aux hausses d’impôts, tels que la taille, seul impôt direct, qui représente environ le tiers des recettes fiscales. Ni la noblesse ni le clergé n’y sont assujettis. Les deux autres tiers sont apportés par les impôts indirects, tels que la gabelle sur le sel. Mais les rentrées fiscales sont insuffisantes. On vend les charges et offices, on confisque et on afferme l’impôt ou la fabrication de monnaies de cuivre ou de billon. Cela ne suffit pas ! Le roi est obligé d’emprunter en jouant sur les taux pour attirer les rentiers. Lorsque la levée d’un emprunt est difficile, le gouvernement crée de nouveaux impôts et augmente les autres… « Après les emprunts, dit Colbert, il faudra des impôts pour les payer et si les emprunts n’ont pas de bornes, les impôts n’en auront pas davantage. » De 1695 à 1697, Louis XIV met en place la capitation à titre exceptionnel, sorte d’ancêtre de l’impôt sur la fortune qui touche tous les Français, sauf le roi. Il la rétablit en 1701. La monarchie ne cesse d’aggraver la pression fiscale, provoquant l’exaspération populaire. La population est fragile et l’hiver pluvieux de 1693 déclenche une famine qui tue environ 1,3 million de personnes. L’édit de Nantes de 1685 a fait fuir quelque 200 000 protestants. Cette émigration d’ouvriers qualifiés et de riches marchands est catastrophique pour l’économie et la fiscalité de la France. Afin de contenir la fuite des métaux, depuis 1690 il est défendu aux sujets et aux étrangers de sortir or et argent du royaume sous peine de confiscation et de 6 000 livres d’amende.
Le roi a besoin de métal précieux, il dévalue donc la monnaie en instituant un système de réformation du monnayage en circulation. Il oblige par décret les Français à rapporter leurs pièces et à les échanger contre des louis d’or et des écus au nouveau type et à un cours plus élevé que les monnaies précédentes. De sorte que si vous ramenez 30 louis à valeur de 10 livres de compte pour un total de 300 livres et que le cours nouveau est fixé à 15 livres, on ne vous rend que 20 louis. Ensuite, la valeur en livres est progressivement diminuée, pour que le plus de numéraire soit collecté par l’impôt, puis soudain les monnaies sont décriées et de nouveau rappelées pour être remplacées par celles au nouveau type à un cours plus élevé et ainsi de suite. Pour faciliter l’opéra- tion et en réduire le coût, les anciennes pièces n’étaient pas refondues, mais sur-frappées.
Quatre réformations se sont succédées en 1690, 1693, 1701 et 1704. Des reçus sont délivrés aux déposants, afin qu’ils puissent venir chercher leurs espèces une fois réformées. Ces papiers passent de main en main et ont progressivement cours dans le commerce. Ce sont les « billets de monnoie», première mon- naie de papier. Mais les caisses sont vides et l’État ne peut bientôt plus les rembourser, c’est l’emballement, leur valeur s’écroule. Tandis que l’Angleterre s’est dotée d’un solide instrument d’équilibre en créant la Banque d’Angleterre, en 1694, la France de la souveraineté absolue a mésestimé les moyens de gestion du crédit public et fâché son people avec la monnaie fiduciaire. Le 26 août 1715, le roi, alité, s’entretient avec son arrière-petit- fils, futur Louis XV, âgé de cinq ans. Il le prie de ne pas l’imiter dans son goût pour les bâtiments et de soulager la misère de ses peuples, « ce que j’ai le regret de ne pas avoir fait », mais aussi de vivre en paix avec ses voisins. Il lui avoue même: « J’ai trop aimé la guerre. » Ses soixante-douze années de règne, le plus long de l’histoire de France, s’achèvent le 1er septembre.