« Un hommage à l’acier »

« Un hommage à l’acier » titrait la publicité d’Audemars Piguet (AP) pour son tout nouveau modèle baptisé la Royal Oak au début des années 70. Le commentaire suivant soulignait que l’homme moderne ne pouvait plus se contenter d’une montre banale mais exiger une montre en adéquation avec ses valeurs et son rythme de vie trépidant. Sportive et chic, cette montre sera en acier, métal emblématique du monde moderne, « rendu infiniment précieux par le travail de l’horloger ». Devant le succès du modèle, quelques 20 ans plus tard, la publicité scande qu’« il faut plus que de l’argent pour porter une Royal Oak » insistant plus encore sur cette catégorie exclusive de l’homme de son temps à laquelle l’objet s’adressait, « une montre pas comme les autres. Distinctive ».


Effectivement, quand le designer suisse Gérald Genta présente son projet révolutionnaire dans ce monde si empreint de valeurs classiques, Jacques-Louis Audemars a dû oublier ses codes familiers pour se persuader de la mettre en production. Fuir tout métal noble ou précieux comme toutes complications horlogères pour proposer une montre minimaliste en acier, indiquant strictement l’essentiel, l’heure, les minutes et la date, ne devait pas être une décision commerciale simple. Imaginait-il alors qu’il tenait en ces croquis ce qui deviendra une icône, encore plébiscitée 50 ans plus tard ?
C’est en 1972 que les 1000 premiers exemplaires de la Royal Oak arrivent au catalogue, sous la référence A (numérotés de 1 à 1000 avant en 1973 une nouvelle numérotation de 1000 à 2000). Si ce chiffre de 1000 exemplaires pour le monde paraît peu important, il est à mettre en perspective de la production totale de montres AP qui à l’époque n’était que de 5800 pièces annuelles !

Gérald Genta a su imposer ses codes tant esthétiques avec une identité forte que minimalistes : une lunette octogonale rappelant le casque de plongée avec des
vis-écrous apparentes, une simplicité totale de lecture, un bracelet acier intégré dont les maillons épousent parfaitement la boîte mais aussi les courbes du poignet. Faire passer le client dans un monde moderne grâce à un garde-temps simple d’utilisation, étanche et fiable, dont le design est identifiable au premier regard. L’exclusivité tant vantée dans les campagnes publicitaires tenait aussi au prix puisque la série A était proposée à 3.650 francs suisses soit trois fois le prix catalogue d’une Rolex Submariner. Notons que l’architecture complexe de la montre, alliée au prestige de la manufacture, justifiait un prix élevé.


La Royal Oak de 1972 est alors équipée d’un calibre manuel à remontage automatique sur une ébauche Jaeger-LeCoultre, qui ne l’utilisera jamais dans ses
propres modèles mais sera partagé par la « Sainte Trinité » horlogère, Patek Philippe, Vacheron Constantin et Audemars Piguet. La complexe réalisation du bracelet intégré, non plus imaginé comme un accesssoire mais comme un élément essentiel de la montre, sera confiée aux maîtres du genre, Gay Frères.
Très vite, après la commercialisation des 2000 premières séries A (de 1972 à 1974*) la production de la référence 5402 nécessitera une série B (1000 exemplaires, de 1974 à 1975/76*), puis encore 1000 autres exemplaires avec la série C (entre 1976 et 78*) avant la D dont le nombre semble inférieur à 1000.
Depuis maintenant plus de 50 ans, la Royal Oak est la pierre angulaire du catalogue du « Brassus », connaissant de multiples déclinaisons de métaux et de complications horlogères, mais sans jamais renier son ADN visuel.

Gérald Genta contribuera à de très nombreux modèles de montres au premier rang desquelles on retrouve la Patek Philippe Nautilus (1976) après la Golden Ellipse (1968), la Polerouter d’Universal Genève (1950), l’Omega Constellation (1959), l’Ingenieur de IWC (1976), la Pasha de Cartier, la Rolex King Midas ou encore la Bvlgari Bvlgari (1975)… Parallèlement à ses multiples contributions avec différentes manufactures parmi les plus
prestigieuses, Genta a créé sa propre marque dès 1969 sous son nom “Gérald Genta” (aujourd’hui rachetée par Bvlgari), pour laquelle il obtient en 1980 une licence de la marque Walt Disney l’autorisant à lancer une collection de montres aujourd’hui iconiques avec les personnages Disney.

*dates approximatives