1515 ? Marignan !
1515, quatre chiffres si bien associés que pour quasiment chaque Français son évocation provoque une réponse instantanée, de l’ordre du réflexe pavlovien : « Marignan »! On pourrait alors se dire que l’école a parfaitement joué son rôle. Mais profondissons la question… Que connaissez-vous de cette grande bataille de l’histoire de France ? Où s’est-elle déroulée ? Qui en étaient les belligérants et qu’a-t-elle apporté ? Généralement, ces questions sont suivies d’un long silence.
PAR KILIAN KINLEY. ICONO : TRÉSOR DU PATRIMOINE. BIBLIOTHÈQUE NATIONALE DE FRANCE
La bataille de Marignan a lieu non loin de Milan, à Melegnano, en plein cœur des onze guerres successives dites d’Italie, menées pour faire valoir les droits de la France sur le royaume de Naples.
Marignan, pivot des guerres d’Italie C’est après de coûteuses et inutiles campagnes, qui virent Charles VIII et Louis XII conquérir puis perdre le Milanais, que François Ier monte sur le trône le 1er janvier 1515 à l’âge de vingt ans. Épris d’humanisme et grand amateur d’art, il baigne dans la culture italienne grâce à sa mère Louise de Savoie. Apparte- nant à la branche des Valois-Angoulême, cousin éloigné de Louis XII, il est longtemps dénigré par ce dernier, qui sans descendant direct, se résout finalement à le traiter en prince héritier. Il lui offre sa fille Claude en 1506, le fait entrer au Conseil du roi et le nomme commandant en chef de l’armée de Guyenne en 1512. François Ier doit alors s’affirmer sans rompre avec l’héritage de ses prédécesseurs.
La bataille en marche
C’est donc naturellement que, dès le début de son règne, il se tourne vers l’Italie et plus particulièrement vers le duc de Milan, Maxi- milien Sforza, faiblement soutenu par le pape. En ce début de XVIe siècle, les Suisses jouent les arbitres militairement en s’engageant au plus offrant. Le roi augmente alors l’impôt et emprunte pour financer ses dépenses militaires et négocier avec ses voisins. Il s’assure au printemps l’alliance des Vénitiens, ainsi que la neutralité d’Henri VIII d’Angleterre et du jeune Charles, souverain des Pays-Bas et duc de Bourgogne, par divers traités. L’empereur soutient du bout des lèvres le duché. François Ier entame rapidement des négociations avec les cantons suisses. Ceux-ci tergiversent. La régularisation d’indemnités promises par Louis XII lors de la prise de Dijon et non signée est érigée en prérequis par les Helvètes. Le jeune roi français accepte d’honorer cette dette à condition de récupérer le Milanais. Les Suisses hésitent, puis refusent.
L’armée française, forte de plus de 60 000 hommes et chevaux, et lourdement armée, prend ses quartiers vers Grenoble sous la supervision de Bayard. En face, environ 32 000 Suisses verrouillent les principales routes alpines. Mais François Ier emprunte une route secon- daire et franchit le col de l’Argentière. Ce coup de génie provoque quelques escarmouches et le repli des Helvètes sur Milan. Le roi continue alors de négocier avec les Suisses, offrant toujours plus. À Gallarate, un traité est signé début septembre, mais n’aboutit à rien. Il ne fait que souligner le manque d’unité des Confédérés. Le duc de Milan tarde également à le ur verser les soldes promises. Cette conjonc- tion provoque le départ de certains cantons, soit environ 10000 hommes, deux tiers des troupes seulement se retrouvent face à la plus belle artillerie de siège de ce début de XVIe siècle. François Ier mène alors ses troupes en direction de Milan et établit son camp à Marignan Deux jours d’une bataille épique
Deux jours d’une bataille épique
Le cardinal Schiner, qui dirige la défense du duché, est retranché derrière les murs de la ville. Il décide d’engager les hostilités le 13 sep- tembre et envoie la garde ducale et des cavaliers pontificaux provoquer la cavalerie française. Leur retour est rapide et il doit aussitôt quitter la ville pour rejoindre le front accompagné des troupes suisses. L’artillerie, la cavalerie, Bayard et même François Ier se jettent dans la bataille. Le combat est total et féroce, les lignes françaises sont malmenées. Le Che- valier Sans Peur évite de peu la mort. C’est la nuit noire qui stoppe les hostilités, après six heures d’une lutte sanglante. Il devient impossible de distinguer le camp de son adver- saire. Les Confédérés tiennent une position légèrement favorable, mais de part et d’autre, la confusion règne.
Dès les premières lueurs du 14 septembre, les combats reprennent, l’armée française est en grosse difficulté. La victoire qui semble décidée à choisir son camp se ravise soudain à 8 heures du matin lorsque des « Marco ! Marco !» retentissent dans la plaine milanaise. Le cri d’assaut vénitien en référence au Saint Patron de la cité déstabilise les rangs suisses et revigore les troupes françaises. À 11 heures, Suisses et Milanais se retirent rapidement à Milan, entre 8 000 et 14 000 des leurs gisant sur le champ de bataille. Les pertes franco- vénitiennes s’établissent autour de 3 000 à 6 000 morts.
Naissance de la monarchie absolue
La victoire acquise, le roi demande à Bayard de l’adouber directement sur le champ de bataille. Il reçoit courage et vaillance du plus valeureux chevalier du royaume et pénètre trois jours plus tard dans Milan pour contrôler rapidement l’ensemble du duché. Maximilien Sforza se rend sans résistance et accepte un exil doré en France et une rente annuelle de 35 000 écus. Le roi sécurise sa position en faisant reconnaître son autorité par le pape Léon X dès le mois d’octobre et par le jeune roi d’Espagne. François Ier obtient des Suisses, à Genève en 1515, que leurs mercenaires se mettent au service du roi de France, et ce jusqu’en 1792.
Ils signent la « paix perpétuelle » de Fribourg le 29 novembre 1516. Les cantons s’engagent à ne jamais la rompre en échange de 700 000 écus d’or et d’une rente annuelle de 2 000 francs pour chacun d’eux. Cet engagement reste en vigueur jusqu’en 1798. Fort de ce succès, il négocie et obtient un remaniement profond des liens avec le Vatican qui prend fin à la Révolution. C’est à Bologne, dès le mois de décembre 1515, que les discussions sont engagées. Elles aboutissent à la signature du Concordat de Bologne le 18 août 1516. Désormais, le roi nomme les évêques, arche- vêques et cardinaux, qui sont par la suite confirmés par le pape. La monarchie absolue prend tout son sens.
Un contrôle parfait de l’image
François Ier revient d’Italie auréolé d’un prestige immense. Militairement, l’artillerie est utilisée pour la première fois de manière décisive, tout comme les explosifs au profit de l’ingénierie. L’armée française, à la pointe de la technologie, possède une puissance de feu qu’il dirige en habile chef de guerre. C’est ce que s’applique à démontrer une intense propagande royale. Avec l’invention de l’imprimerie, quelques décennies plus tôt, et ses progrès fulgurants, François Ier comprend que le livre peut être un vecteur de diffusion de ses exploits. Il accorde le titre d’Impri- meur du roi, prémices de l’Imprimerie royale, à Geoffroy Tory, qui modernise les caractères d’imprimerie. En 1518, il décide la création d’un grand Cabinet de Livres. Guillaume Budé en est nommé intendant. Celui-ci fonde en 1530 le corps des Lecteurs royaux, abrité dans le Collège royal, ancêtre du Collège de France. Le but est de concurrencer une Sorbonne vieillissante et conservatrice afin de développer une culture moderne.
En 1536, il invente ce qui deviendra plus tard le Dépôt légal. Aucun ouvrage ne peut quitter le royaume sans qu’un exemplaire ne soit déposé à la Bibliothèque royale. Tous ces outils vont l’aider à diffuser le récit de son exploit, qui est conté sur la place publique ou lors des prêches à l’église. On réécrit même le déroulement de la bataille, le plaçant en unique vainqueur, éclipsant alors complète- ment les Vénitiens de l’histoire. Son triomphe face aux Suisses, réputés invincibles, lui permet d’être l’égal de Jules César.
La perte de Milan six ans plus tard et la défaite de Pavie en 1525, qui aboutissent à l’empri- sonnement du souverain à Madrid, sont jugées insignifiantes au regard du prestige de Mari- gnan. Encerclé par les Habsbourg, François Ier se doit d’impressionner. Il contrôle son image. Jean Clouet réalise le plus grand portrait de l’époque représentant un roi imposant, majes- tueux, accompagné de tous les insignes du pouvoir. Le Titien peint également un portrait qui fait date en prenant modèle sur une médaille. La numismatique comme outil de propagande Vectrices importantes d’images, la monnaie et la médaille n’échappent donc pas au contrôle du souverain. L’art de la médaille, pur produit de la Renaissance italienne, apparaît en plein XVe siècle à Vérone avec Pisanello et voit ses premiers exemplaires importés et frappés en France par Louis XII. Celui-ci rapporte égale- ment les premiers testons (testone, « tête » en italien), monnaie d’argent à l’effigie du souve- rain. François Ier, conscient du bénéfice qu’il peut en tirer, appelle à la Cour un orfèvre de premier ordre, Matteo del Nassaro. Également joaillier, graveur de monnaies, médailles, pierres dures et estampes, il est pensionné dès 1515 et perçoit 300 écus par an. Il porte rapidement le titre de « maître des coins de la Monnaie » et grave les coins des testons. François Ier est le premier roi de France à voir son portrait appa- raître abondamment et vieillir sur ses monnaies.
Un apport culturel formidable
Même si les idées de la Renaissance italienne se sont déjà diffusées en France lors des précédentes campagnes d’Italie, l’apport de Marignan est extraordinaire. En effet, nombre d’artistes se dirigent alors vers la France pour exprimer tout leur talent. Léonard de Vinci est appelé en 1516 à la Cour par Louise de Savoie. Ce dernier organise d’ailleurs en 1518 une reconstitution grandiose de la bataille. Il n’arrive pas les mains vides, ses malles renfer- ment ses œuvres les plus célèbres : La Joconde ; La Vierge, L’Enfant Jésus et Sainte Anne; Saint Jean Baptiste. François Ier se prend d’affection pour ce vieil homme, qu’il appelle «mon père», et l’installe à ses côtés au château du Clos Lucé, à Amboise, jusqu’à sa mort en 1519. Nommé premier peintre, premier ingénieur et premier architecte du roi, accompagné d’une pension annuelle de 1 000 écus, il est pleine- ment considéré en France comme un artiste. François Ier restaure et bâtit à grands frais. Les châteaux d’Amboise et Blois s’agrandissent, les constructions du château de Saint-Germain- en-Laye et de Chambord débutent. Léonard de Vinci et l’architecte italien Boccador y apportent une touche de Renaissance. Leur décoration est confiée à Le Primatice, artiste bolognais, maître de l’école de Fontainebleau. Il confie l’édification du château de Madrid, réplique de sa geôle espagnole, à Girolamo della Robbia. Le château de Fontainebleau est reconstruit entièrement dans le but de devenir l’écrin des trésors italiens du roi. François Ier emploie d’ailleurs nombre d’agents, chargés de rapporter en France les œuvres de maîtres italiens (Le Titien, Raphaël, Michel-Ange…) et entame réellement la collection d’œuvres d’art des rois de France, créant même en 1530 la collection des Joyaux de la Couronne.
Il ne faut cependant pas oublier le coût des expéditions –rarement victorieuses–, des grands travaux ou de la propagande culturelle que François Ier fait reposer sur ses sujets. Finale- ment les politiques éducatives successives ont effacé le déroulement des événements et les acquis négociés de cette victoire inaugurale, r cines de la monarchie absolue des Bourbons, au profit d’une image d’Épinal évanescente. François Ier est consacré monarque embléma- tique du XVIe siècle français : chef victorieux, prince mécène de la Renaissance française et protecteur des arts et des lettres.